Je sors de chez Anna*, mon tapis de yoga sous le bras. Dans ma belle robe rouge à fleurs, j’attire le regard des passants. Il fait beau à Nice en cette fin mai.
Mais je ne sais que penser de cette interview avec Anna. Je lui suis reconnaissante du temps qu’elle m’a accordé, de sa confiance. Nous avons évoqué son parcours de PMA, avec son endométriose, le don d’ovocytes qui lui a permis de devenir maman. Je lui ai aussi demandé d’évoquer les moments difficiles de ce parcours. Ses yeux se sont voilés, elle a essuyé quelques larmes. Est-ce que j’ai bien fait de venir réveiller en elle ces émotions ?
L’idée était donc de démarrer sur mon blog avec le témoignage de personnes en PMA. J’ai tout de suite pensé à Anna, que j’ai suivie pendant 14 mois, depuis le début de son parcours de PMA jusqu’à son accouchement. Anna est italienne. Elle vit à Nice avec son mari qui est français. Elle est maman d’un petit garçon qui a sept mois déjà.
Ce matin, je suis allée chez elle pour préparer cet article. Quand je rentre, ce qui me frappe c’est tout d’abord les grands tableaux qui décorent les murs de son appartement. Des portraits de femmes du monde magnifiques, car Anna est artiste peintre.
Tout de suite après, je remarque le bazar que crée la présence d’un bébé : des jouets, la baignoire dans la salle de bain, les biberons, la poussette, la balancelle… que de place prend un bébé dans nos vies ! Son fils dort, nous avons donc le temps pour réaliser cette interview, tranquillement après un petit café.
Bien sûr, au moment nous voulons démarrer, Flavio* se réveille et il nous rejoint donc au salon. J’avais pensé commencer un podcast. Ça va être difficile avec la présence du bébé d’avoir un son de qualité avec mon petit dictaphone. Ce n’est pas grave, on fera une interview écrite ! Nous démarrons donc…
Anna, est-ce que tu peux te présenter un peu s’il te plaît ?
Bonjour, je m’appelle Anna. Je suis italienne et je vis à Nice depuis 13 ans. J’ai commencé mon parcours de PMA assez tard. J’avais 38-39 ans. Je suis atteinte d’endométriose, une des raisons pour lesquelles j’ai eu du mal à tomber enceinte. J’ai commencé par la cryo congélation de mes ovocytes quand j’avais 36 ans. Quand on a essayé de les décongeler, cela n’a pas fonctionné, car ils n’ont pas résisté.
Du coup, on a essayé de faire des FIV, mais le dossier a été refusé ici, dans une clinique privée de Nice, en raison de mon âge, de mon endométriose et de tous les examens que je devrais faire. Je ne sais pas exactement pourquoi le dossier a été refusé, mais je pense que c’est parce qu’il n’était pas suffisamment bon. Ils font des statistiques et mon dossier n’était pas intéressant dans ce cadre. Je pense, car sinon je ne vois pas d’autres raisons.
Pourquoi as-tu congelé tes ovocytes à l’âge de 36 ans ?
Ma gynécologue m’avait conseillé de le faire, mais c’était déjà trop tard. Normalement, il faut le faire plus jeune. On m’avait dit que j’étais dans la limite, car, après 36 ans, on ne pouvait plus, mais j’en avais le droit en raison de ma maladie. Malheureusement, je n’ai eu que deux ovocytes.
Par la suite, ma gynécologue m’a conseillé d’aller consulter auprès d’un collègue à Marseille, qui voudrait peut-être accepter mon dossier. Avant, j’étais déjà allée à Montpellier, mais la gynécologue qui suivait ma belle-sœur là-bas avait refusé aussi. Elle m’avait dit que le dossier ne passait pas et qu’elle me conseillait de faire un don d’ovocytes, mais on a quand même voulu essayer à Marseille.
Là, ils ont bien voulu accepter le dossier, car c’était à un hôpital et pas une clinique privée. La gynécologue y croyait, elle pensait qu’il pouvait y avoir quand même une chance. Malheureusement, ça a été une ponction à blanc, avec zéro ovocyte. Avant le protocole, j’avais reçu plusieurs doses de vaccin du COVID et je pense que ça avait joué également, car cela a affecté mes cycles. Donc peut-être aussi que ce n’était pas le bon moment quand je l’ai fait.
Mais bon de toute façon, c’était compliqué. J’avais déjà été opérée de l’endométriose et on m’avait dit que les ovaires avaient été touchés et qu’ils étaient quand même abîmés.
L’étape suivante du parcours PMA : le don d’ovocytes
Donc là, elle nous a carrément conseillé de faire le deuil de mes ovocytes et ç’a été le moment le plus dur… Quand on te dit ça… Vite, on a pris la décision de chercher une clinique. On a comparé entre l’Espagne et la République tchèque, pour voir comment ça pouvait se passer.
Anna commence à pleurer.
Ça me rend triste d’en parler.
Oui, mais après, je suis super heureuse. J’ai un bébé magnifique.
Voilà, on a donc trouvé une clinique en République tchèque, qui a été assez réactive donc ça a été vite. En quelques mois, ils nous ont tout programmé. Après, malheureusement, j’ai attrapé le COVD avant le départ pour la République tchèque. Donc ç’a été assez dur, car le transfert a été annulé.
Mon conjoint, qui ne parle pas du tout anglais, a dû partir tout seul en République tchèque pour le recueil de sperme. Et j’ai trouvé ça admirable de sa part.
Et après un mois, on y est allé tous les deux pour le transfert d’embryon. Et ç’a fonctionné du premier coup. J’avais 41 ans à ce moment-là.
Peux-tu me décrire les émotions que tu as vécues dans le parcours PMA ?
Ces deux ans de parcours ont été très difficiles au niveau émotionnel. J’ai reçu beaucoup de piqûres d’hormones et donc c’était difficile avec les hauts et les bas, les pleurs… surtout quand on te dit que tu n’as pas droit à la FIV et qu’il n’y a rien à faire. Ça, c’est compliqué à accepter.
Par rapport à d’autres femmes, mon parcours n’a pas été très long parce qu’on ne m’en a pas donné la possibilité. Mais quand même deux ans, ça reste long. J’ai vu des professionnels pour m’aider. J’ai fait du yoga pour me relaxer, des massages. J’ai vu un psychiatre qui m’a fait de l’EMDR. Qu’est-ce que j’ai fait d’autre ? J’ai fait de l’acupuncture. C’était très bien, ça m’a aidée. La réflexologie. J’ai tout essayé pour me donner la chance que ça marche.
La sophrologie pendant le parcours PMA
On a commencé pendant le parcours de PMA et on a continué pendant toute ma grossesse. Pendant la PMA, ça m’a aidée à gérer le sentiment de tristesse, mes peurs, mes inquiétudes et tout ce qui pouvait naître de difficile.
Pendant la grossesse, c’était très bien, parce que ça m’a aidée à me préparer pour l’accouchement, même s’il ne s’est pas passé comme je l’espérais. Je communiquais avec mon bébé dans le ventre, je me connectais à lui, parce que quand même, quand on reçoit un don d’ovocytes, on a toujours peur d’avoir des difficultés à ce niveau. Ça m’a aussi aidé à me recentrer sur moi-même.
Avec le recul par rapport à ton parcours de PMA, comment te sens-tu aujourd’hui sur la question du don ?
Quand on a décidé, on l’a fait assez vite, on n’a pas trop réfléchi. On ne s’est pas posé trop de questions. Je connaissais des gens qui l’avaient fait. J’étais aussi dans un groupe Facebook de dons d’ovocytes. Je connaissais déjà une association comme Les Cigognes de l’espoir. Je lisais donc pas mal de témoignages et ça m’a donné la force d’essayer.
Je pense que pour le moment je n’y pense pas trop, mais par contre, je me pose la question de savoir comment lui expliquer quand il sera plus grand. Je sais qu’il faut le lui dire et j’ai donc juste un peu d’inquiétude par rapport à comment ça va se passer.
Un de mes clients m’a aussi raconté qu’il avait découvert qu’il était issu d’un don de sperme, mais qu’on ne le lui avait pas dit. Du coup, il a découvert cela très tard et aussi qu’il avait une demi-sœur. Il m’a dit : « Écoute, j’ai mon père, c’est mon père, donc je m’en fous, mais je lui ai dit que j’aurais préféré le savoir. » Il m’a dit que c’était bien de le dire à mon fils et qu’il fallait qu’il le sache. Après, je pense que cela ne changera rien au fait que je suis sa mère et que c’est moi qui l’aide à grandir et qui suis à ses côtés. Voilà, il faut juste savoir comment le lui expliquer.
Le parcours de PMA est derrière toi. Maintenant, tu es surtout très occupée dans ton rôle de maman.
Maintenant, je suis très heureuse, mon bébé va bien. Le don d’ovocytes s’est très bien passé. Je dois dire que les cliniques à l’étranger sont très compétentes. Je ne regrette pas.
As-tu un conseil à donner à des personnes qui seraient en parcours PMA ?
Chacun son ressenti, mais je pense vraiment que tout ce qui est médecines douces aide beaucoup, car on subit beaucoup de pression, de stress. Des fois, ça ne marche pas aussi à cause de ça. On est dans une spirale négative et, toute seule, je pense qu’on ne peut pas y arriver. Il faut être aidée et suivie par quelqu’un. N’hésitez pas à vous adresser à des professionnels pour vous faire aider. Et nous, les femmes, en plus de tous les médicaments, on a beaucoup d’émotions.
Si tu devais changer quelque chose dans ton parcours PMA, qu’est-ce que ça se serait ?
C’est surtout au niveau de l’endométriose. J’aurais aimé qu’on me dise de cryocongeler mes ovocytes quand j’étais plus jeune et pas à 36 ans quand c’était déjà tard. Du coup, ça n’a servi à rien et ça m’a fait un faux espoir pendant des années. Maintenant, je pense que l’endométriose sera de plus en plus connue et mieux prise en charge. Il faudrait conseiller les femmes assez jeunes. Plus les années passent, plus c’est dur.
Un dernier conseil pour une femme en parcours de PMA qui te lirait ?
Beaucoup de force. Il faut être positive et ne pas lâcher. Il faut continuer, garder espoir et ne pas se poser trop de questions. Allez-y pour le don d’ovocytes. Il n’y a pas de problème. Ce sera votre enfant. Il aura grandi dans votre ventre. Il y a même des études d’épigénétique sur la question. Il a donc quand même quelque chose de vous dans ce bébé. Et après, vous aurez un bébé magnifique avec vous et vous n’y penserez même plus.
L’interview est terminée. Anna prend Flavio dans ses bras. Elle me raconte son accompagnement avec une association et les cafés parents auxquels elle a pu assister. Elle est surtout préoccupée par le mode de garde de son fils pour la rentrée de septembre. Est-ce qu’elle doit faire appel à une assistante maternelle avec qui elle a une affinité, mais qui habite Nice Est ou trouver quelqu’un plus près de son domicile ? Elle n’a pas trop confiance pour laisser son bébé à une inconnue…
Anna est dans le flux de la vie, c’est une maman comme les autres avec son bébé. Je prends congé, car c’est bientôt l’heure du déjeuner. Elle va mettre son poisson au four et s’occuper de Flavio.
Alors est-ce que j’ai bien fait de venir interviewer Anna ?
Oui, je pense que la parole libère, qu’elle a un pouvoir thérapeutique.
L’émotion d’Anna me renvoie à mes propres questionnements. Est-il vrai, comme je l’affirme pendant les groupes de paroles que j’anime une semaine sur deux avec des personnes en PMA, que j’ai vraiment fait le deuil de mes propres ovocytes ? Finalement est-ce que cette question est vraiment importante ? Aujourd’hui, j’aime ma fille. Si je n’avais pas eu recours à un don, elle n’existerait pas. Comment pourrait-elle ne pas exister ? J’ai l’impression qu’elle a toujours été dans ma vie.
Y a-t-il une réponse claire à cette question ? Sans doute que non. Mais c’est ce qui fait la richesse et la subtilité de nos sentiments d’être humain.
Je remercie Anna pour la confiance qu’elle m’a accordée en suivant mon accompagnement pendant tout son parcours PMA et jusqu’à l’accouchement. C’est un privilège pour moi. Je la remercie également d’avoir dévoilé ses émotions et son parcours PMA dans le cadre de cette interview. J’espère que cet article aidera d’autres personnes à cheminer dans leur questionnement.
N’hésitez pas à laisser vos commentaires et vos questions.
* les prénoms ont été modifiés à la demande d’Anna.
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